Que trouve-t-on vraiment dans le lac ?

Dans un bilan de l’état du Léman, dressé en 2016, la Cipel (Commission internationale pour la protection des eaux du Léman) présente de nombreuses analyses des eaux du lac franco-suisse. Du côté des pesticides et métaux, les analyses sont plutôt bonnes avec des teneurs « inférieures aux valeurs maximales pour l’eau potable ». En revanche, « d’autres micropolluants, comme certains résidus médicamenteux, y sont décelés à des concentrations relativement élevées. Leur présence n’est pas souhaitable. »
Et la Cipel de pointer du doigt les principaux ennemis : « Parmi les 61 principes actifs médicamenteux recherchés, le carisoprodol (relaxant musculaire), la mépivacaine (anésthésique), la carbamazépine (antiépileptique), la metformine (antidiabétique), la prilocaïne (anesthésiant) et l’acide méfénamique (anti-inflammatoire) sont présents à des concentrations élevées. »
On appelle micropolluants ces substances présentes en très faibles concentrations mais pouvant néanmoins avoir des effets négatifs sur les organismes vivants.

Comment cette pollution arrive-t-elle dans le Léman ?

Les médicaments se retrouvent dans l’eau via différents biais. Les rejets de l’industrie pharmaceutique, tout d’abord, constituent une part importante de la pollution. Des usines sont notamment installées le long du Rhône, dans le Valais, en amont du lac Léman. De même, les rejets des hôpitaux sont une source importante de résidus médicamenteux.

Outre l’agriculture, et les traitements donnés aux animaux, il faut aussi compter sur les urines et selles de tout un chacun. Certains médicaments présentent des taux d’excrétion (ce qui sort du corps humain) importants, atteignant parfois 95 % (Hydrochlorothiazide, diurétique). Le problème est que les stations d’épurations ne sont pas en mesure de les filtrer correctement.

Comment risque-t-on d’ingurgiter des résidus médicamenteux ?

Outre son utilisation estivale comme lieu de baignade, le lac Léman est surtout un vaste réservoir d’eau potable pour environ « 900 000 personnes », selon la Cipel qui recense dix stations de pompage (dont Evian-les-Bains). Or, aujourd’hui, l’eau potable est jugée de bonne qualité, sauf que la vérification des résidus de médicaments n’est imposée par aucune réglementation. « Des impacts sur la croissance des animaux et des plantes aquatiques » peuvent être craints, souligne la Cipel,

Comment lutter contre cette pollution ?

La lutte contre la pollution du lac par les résidus de médicament est un enjeu majeur de ces prochaines années. Si la prise de conscience par les pouvoirs publics a déjà eu lieu, la Cipel ne fixe pas d’objectif chiffré, comme pour d’autres polluants, mais réclame d’obtenir des « teneurs les plus faibles possibles ». L’utilisation des médicaments et leur traitement par les stations doivent être sérieusement réfléchis.

Les bactéries résistentaux antibiotiques
Le problème de la présence de résidus de médicaments dans le milieu naturel concerne tout d’abord les modifications des espèces (lire ci-contre au sujet de la pilule).

Mais un autre risque menace tout autant la santé humaine : la résistance des bactéries aux antibiotiques. Avancée majeure de la médecine du XXe siècle, les antibiotiques sont parfois utilisés de façon excessive et inappropriée. Résultat, « un nombre croissant de bactéries est devenu résistant à leur action », s’inquiète l’ASL (Association de sauvegarde du Léman). « L’augmentation de la résistance à certains groupes d’antibiotiques importants et la multiplication des germes multirésistants sont particulièrement préoccupantes. »

Elimination limitée

D’où l’importance de ne pas abuser des antibiotiques sans raison, pour ne pas accélérer le processus d’adaptation des bactéries : « L’objectif est de garantir l’efficacité des antibiotiques à long terme pour le maintien de la santé humaine et animale. »
D’autant que certains ne sont pas totalement assimilés par le corps humain (70 % du Ceftriaxone est rejeté tel quel) ou les stations d’épuration (moins de 10 % du Triméthoprim est éliminé).
Des cocktails de micropolluantsaux effets encore inconnus
Outre les médicaments, le lac recueille également des résidus de pesticides, de cosmétiques, des produits d’entretien ou des produits chimiques issus par exemple des vêtements ou d’autres objets. Les analyses de l’eau du Léman montrent même, parfois, des traces de produits réactifs pour les radios ou photos.
Au final, toutes ces substances restent dans l’environnement et les tissus des êtres vivants, que ce soit les plantes ou les animaux, mais encore les hommes.

On estime leur quantité à quelques microgrammes, soit un millième de gramme par litre d’eau. « C’est l’équivalent d’un morceau de sucre dilué dans une piscine olympique », expliquent les scientifiques.
Quelle dangerosité
pour ces mélanges ?

Problème, aussi infime soit-elle, celle dilution n’est pas sans effets. Une question demeure, celle de leur dangerosité… Comment les organismes vivants réagissent-ils à ces micropolluants ? Mais surtout, que peuvent provoquer leur mélange et les cocktails ainsi produits ?

C’est tout l’enjeu des études qu’il reste à mener. « Nous en sommes au stade de l’évaluation des risques sanitaires », explique un membre de l’Afsset (Agence de sécurité sanitaire).
Les résidus de pilules et médicaments hormonaux parmi les plus dangereux

Le problème n’est pas nouveau. L’urine des femmes qui prennent la pilule contraceptive contient des résidus d’EE (éthinylestradiol), l’œstrogène le plus utilisé actuellement.

Seulement, les stations d’épuration, mal équipées, laissent passer cet œstrogène, si bien qu’une étude menée il y a une dizaine d’années estime que 35 à 50 % de l’œstrogène mesuré dans les rivières et lacs vient des pilules. Même si l’Europe tente de trouver une solution pour endiguer cette pollution des eaux usées, les solutions (filtres à charbon…) s’avèrent très coûteuses pour l’instant. Quelques rares stations d’épuration en sont équipées.
Féminisation et fertilisation
des espèces
L’impact sur la faune et la flore est connu, mais celle sur les humains reste encore sujette à discussion. Néanmoins, les scientifiques s’accordent sur un constat : il y existe un phénomène de féminisation des espèces animales. Quant à leur fertilisation, elle semble durablement affectée par ces perturbateurs présents dans la nature, mais à faible dose.

Du côté des humains, les populations les plus exposées à ces perturbateurs endocriniens sont les femmes enceintes, mais également les enfants, de leur naissance jusqu’à la puberté.

Pour les hommes, des scientifiques italiens ont affirmé « avoir suffisamment de données pour affirmer qu’une cause non négligeable de l’infertilité masculine (baisse du nombre de spermatozoïdes) en occident est la pollution environnementale provoquée par la pilule ». Ils accusent ce médicament d’avoir « depuis des années des effets dévastateurs sur l’environnement en relâchant des tonnes d’hormones dans la nature ».

Source de l’article: Journal – Le Messager
http://www.lemessager.fr/a-la-une-le-messager/medicaments-dans-le-leman-une-pollution-invisible-ia914b0n183657#

Source de l’image:
www.cieau.com